Interview de Thomas Romain
 
 Ici, vous retrouverez une interview de Thomas Romain (créateur de Code Lyoko avec Tania Palumbo) à l'occasion de la sortie de la série Code Lyoko sur Netflix le 1er octobre 2020. Cette interview a été réalisé par le site de la chaîne d'actualité BFM TV par Jérôme Lachasse. 
 



Interview
 
Comment avez-vous imaginé Code Lyoko? Quelle a été l'idée de départ?

Le projet de série n'est pas né de la vision d'une seule personne. Son développement a vraiment été un travail collectif. Le point de départ a été Garage Kids, le petit court métrage de fin d'études d'animation que nous avons réalisé [aux Gobelins] avec Tania Palumbo en 2000. Son image a beaucoup vieilli mais c'est un petit film dont je suis encore fier aujourd'hui et qui a toujours du sens. Il montrait un petit groupe d'enfants de banlieue se regroupant pour projeter leur propre film d'animation dans une salle de cinéma improvisée dans un parking abandonné. Son atmosphère a beaucoup plu aux producteurs du studio Antéfilms (ancien nom de MoonScoop) et ils nous ont proposé de développer une série ensemble.


Dans quelle mesure les films Matrix et Tron ont-ils été une influence pour créer le monde virtuel de Lyoko?

Je n'avais pas vu Tron à l'époque mais Matrix m'a beaucoup marqué, moi qui apprécie beaucoup la science-fiction et les univers dystopiques. Son influence est énorme puisqu'on retrouve le même concept de machine qui permet de se plonger dans un monde virtuel avec la présence d'un opérateur qui supervise le voyage, tout comme la corrélation temporelle entre l'action dans le monde virtuel et dans le monde réel. Côté Asie, l'animation japonaise nous a également influencés. C'est même peu dire puisque je vis et travaille moi-même dans l'animation à Tokyo depuis 2003. Nos séries de référence à l'époque étaient Serial Experiment Lain et Evangelion, entre autres. On retrouve la dimension inquiétante de l'informatique présente dans Lain, tout comme la présence d'entités dangereuses et impressionnantes qu'il faut combattre, comme dans Evangelion.


L'intelligence artificielle occupe une place très importante dans Code Lyoko. Comment est venue l'idée?

Nous n'avons pas fait de recherches poussées à l'époque sur ce sujet. Avec Tania, nous n'avions que 22 ou 23 ans et la série est surtout née d'influences variées et d'intuitions. Initialement, ce sont les producteurs d'Antéfilms qui nous ont lancés sur le thème du jeu vidéo. Mais nous ne souhaitions pas faire une série trop ludique et superficielle, nous rêvions d'épisodes avec de la tension, du suspense, voire même des scènes tragiques. Choses difficiles à imaginer en dessin animé à la télé pour les enfants.


Des scènes tragiques? Vous vouliez tuer un des 4 personnages principaux ?

Pas forcément, mais échapper autant que possible à la censure des chaînes de télé qui a tendance à lisser les programmes jeunesse.


D'où vient le mot "Lyoko"?

Il vient du mot japonais "ryoko-" qui signifie tout simplement "voyage", en référence au concept du voyage vers le monde virtuel.


Comment sont nés les personnages? Quelles étaient vos influences?

Les personnages sont nés sous le crayon de Tania Palumbo au moment de notre film de fin d'études. Ce n'est que par la suite que nous les avons baptisés et leur avons attribué des caractères. C'est avant tout le look des personnages qui a initié le projet. D'un point de vue dessin, c'est l'animateur japonais Koji Morimoto, au trait anguleux et graphique, et à l'étrange univers sombre et cyber qui nous a le plus influencés.


D'où viennent les noms Yumi, Ulrich, Odd et Jérémie?

Si je me souviens bien il s'agit pour la plupart de suggestions de Tania. Odd, qui en anglais signifie "étrange", a été choisi pour mettre en valeur son côté hors-norme. C'était assez unique à l'époque d'avoir un personnage qui ne correspond pas aux critères classiques binaires du garçon. Le prénom de Jérémie est un clin d'œil au réalisateur Jérémie Périn (Lastman) qui était notre pote de promotion et dont nous étions déjà fans.


Qu'a apporté Tania Palumbo au projet Code Lyoko?

Son apport a été gigantesque. Si j'ai été moi-même très présent au tout début pour lancer le concept du projet, c'est Tania qui a travaillé comme directrice artistique de longues années pendant toute la production de la série, notamment en créant le design de tous les personnages principaux et leurs costumes.


Tania Palumbo semble ne rien avoir fait depuis Code Lyoko. Travaille-t-elle toujours dans l'animation ?

Il semblerait que malgré son immense talent, elle ait quitté le monde de l'animation. Celui-ci peut-être très dur. Il est compétitif et demande de s'investir énormément, parfois au-delà du raisonnable. Tout comme les autres milieux professionnels, on y trouve aussi de nombreux cas de harcèlement et de burn out. Je sais que Tania n'a pas été épargnée et a pu souffrir à certains moments de sa carrière.


L'idée de mêler 2D et 3D s'est-elle imposée naturellement?

C'était dans le cahier des charges du studio Antéfilms qui était aux début des années 2000 parmi les seuls à produire des séries hybrides mélangeant 2D et 3D. Il fallait faire tourner leur équipe 3D et la nouveauté que représentaient ces passages en 3D était un bon argument de vente également. 


En comparaison du monde virtuel, la réalité dans la série semble d'ailleurs bien terne...

Paradoxalement, un effort énorme a été fait sur la création des décors du monde réel. Une équipe de très bons décorateurs 2D a été recrutée pour donner une patte réaliste aux environnements. Un gros travail de référence a aussi été fait. Par exemple, le collège Kadic est modelé sur le véritable lycée Lakanal à Sceaux (92), que j'avais fréquenté. L'usine abandonnée, lieu central de la série, est basée sur l'ancienne usine Renault de l'île Seguin, désormais détruite. C'était un parti pris très fort par rapport a bon nombre de séries d'animation françaises de l'époque qui avaient comme cadre des décors fantastiques ou américanisés, les producteurs pensant sans doute que leurs dessins animés s'exporteraient mieux ainsi. Avec Tania nous tenions à représenter la France que nous connaissions, notamment la périphérie parisienne.


Vous aviez imaginé Garage Kids comme un feuilleton. Pourquoi Code Lyoko est-elle finalement une suite d'épisodes indépendants les uns des autres?

Mon rêve était en effet de créer une série feuilletonnante, mais ce type de séries ne sont pas aimées par les diffuseurs télé français qui aiment pouvoir diffuser et rediffuser les épisodes à horaires variables et sans avoir la contrainte de devoir se préoccuper de leur ordre. Les rendez-vous épisodiques sont plus compliqués à programmer, et il peut être difficile aux gens de se raccrocher à une série en cours de route. Malheureusement, la série a donc été développée par l'équipe de scénaristes sous forme d'épisodes indépendants, pour leur grande majorité.


A quel moment Garage Kids s'est-il transformé en Code Lyoko? Que s'est-il passé entre 2000 à 2003?

La série a été développée sous le nom Garage Kids. A ce moment-là, la dimension jeu vidéo était peu présente, et les pouvoirs des héros pouvaient être ramenés du monde virtuel dans la réalité. Après mon départ du projet [en 2003] et après que la série a été vendue à des chaînes, elle a été renommée Code Lyoko et a perdu son ambition de vrai feuilleton. Pour ma part j'ai tout mis en œuvre pour réussir à partir travailler au Japon.

La série a-t-elle été difficile à produire? Comment étaient vos relations avec les producteurs, les frères Di Sabatino?

Je n'ai pas participé à la production [il a quitté le projet en 2003, NDLR]. Mes relations avec les frères Di Sabatino étaient alors devenue à peu près inexistante. Suite au très beau succès commercial de la série, j'ai tenté de savoir à quel point le studio s'était enrichi, dans l'espoir de toucher ce qui m'était contractuellement dû (il y a eu des ventes de livres, de jeux vidéo, de figurines, etc.) mais je n'ai jamais eu de réponse, ni pu toucher un centime sur l'exploitation de la série par les producteurs.


MoonScoop étant fermé, qui détient les droits de la série?

La société de production Ellipsanime détient les droits. Je pense qu'elle pourrait relancer la production de nouveaux épisodes si elle le souhaitait.


Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette série?

Au moment de développer le projet, on ne pouvait pas s'imaginer qu'il connaitrait un tel succès. J'ai quitté le projet assez peu confiant de ce qu'en serait le résultat, pour me plonger dans la production franco-japonaise d'Oban Star-Racers, et j'ai suivi l'engouement des fans depuis le Japon, de très loin. Je suis ravi que tant de gens aient apprécié la série, vraiment, mais n'ayant participé qu'a son développement initial, je ne me considère pas vraiment faisant partie de l'équipe. J'ai pu me faire un nom dans le milieu de l'animation depuis, et les gens me contactent souvent pour me parler de Code Lyoko, mais ce sont surtout les dessinateurs, scénaristes, animateurs, etc. ayant travaillé sur la production qui sont parvenus à faire de Code Lyoko un beau succès d'animation française.


Avez-vous jamais souhaité, lors de l'écriture de la série, de prendre plus de risques et de sortir de la formule générale des épisodes (attaque de XANA sur Terre, voyage sur Lyokô, désactivation de la tour), malgré l'opposition des chaînes de télévision qui n'ont pas permis de le faire?

Non, je ne me suis jamais sentie censurée. Je trouve que le concept a été au bout de ses promesses, dans la seule contrainte qui était la mienne c'est-à-dire à raconter des histoires pour les enfants de 6 à 12 ans. Le fait que la série plaise à des personnes plus âgées prouve que nous avons écrit des textes bien plus compliqués que ce que le concept original laissait envisager.


Code Lyoko continue aujourd'hui de susciter de l'engouement. Les deux tweets d'annonce de Netflix ont été "aimées" plus de 140.000 fois alors que la série est déjà disponible sur Amazon Prime et YouTube. Comment analysez-vous la popularité sans cesse renouvelée de Code Lyoko?

Je pense que la série est arrivée au bon moment avec un thème en phase avec le développement d'internet et des nouvelles technologies. Elle n'a pas pris les enfants pour des imbéciles en leur proposant des thématiques de science-fiction structurant des épisodes palpitants ou se prêtant à la réflexion. La dimension des relations amoureuses entre les personnages adolescents a aussi beaucoup contribué à son succès je pense. A cela s'ajoute un thème musical accrocheur et tous les ingrédients pour faire naître un sentiment de nostalgie chez les spectateurs. Il n'est pas impossible que la série connaisse une reprise si les ayant-droits le décident. Qui sait?